Ils sont éditeurs, libraires ou traducteurs, ils viennent d’Europe comme d’Amérique latine et sont à Montréal pour le Salon du livre
De son sac, Charlotte Desmousseaux sort plusieurs titres : La dévoration des fées, de la collègue Catherine Lalonde, dont elle a vu passer la critique dans le journal Le Monde ; Le jeu de la musique, de Stéphanie Clermont, et, enfin, Le plongeur, de Stéphane Larue. La propriétaire de La vie devant soi, jeune librairie de Nantes, dans l’ouest de la France, arrivait visiblement du kiosque du Quartanier.
« J’ai une valise pleine à l’hôtel », signale-t-elle, de manière à nous préciser qu’en ce premier jour du Salon du livre de Montréal, son parcours de la littérature québécoise est déjà bien amorcé.
Charlotte Desmousseaux n’est pas une touriste comme une autre. En sa qualité de libraire, elle est à Montréal avec un groupe attiré par Québec Édition, un des comités de travail de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). Elle et ses neuf collègues, libraires à Paris, Auxerre, Bruxelles, Liège, Namur ou Genève, sont venus dans le cadre d’un programme d’immersion. Une sorte de cours accéléré sur le Québec littéraire.
« L’idée est de mieux leur faire connaître l’édition québécoise, pour qu’ils aient envie de tenir dans leurs librairies davantage de livres québécois, dit Karine Vachon, de Québec Édition. Les libraires sont des passeurs, qui conseillent, qui partagent. On veut les conquérir, on veut qu’ils repartent avec des coups de coeur. »
Depuis cinq ans, l’antenne exportation de l’ANEL organise de tels voyages baptisés « Rendez-vous ». Aux Rendez-vous éditeurs, mis en place en 2013, se sont ajoutés cette année les Rendez-vous libraires et les Rendez-vous traducteurs. En tout, ce sont 28 professionnels, actifs dans douze pays, qui y participent.
Richesse de la langue
« Je suis là pour ça : découvrir, transmettre et, après, inviter des auteurs », confie Charlotte Desmousseaux. La libraire nantaise, active depuis 2013, avait déjà un peu le Québec dans la tête, notamment par le biais d’Éric Plamondon.
Cette première fois en « Amérique » lui permet seulement de constater que le « maillage qu’elle avait commencé à faire » est très petit par rapport à ce qu’elle découvre sur place.
« Plus on avance, plus on se rend compte de la qualité et de l’effervescence du moment », avoue celle qui ne tient pas à exotiser les livres québécois dans sa librairie. Elle les intégrera simplement, « dans les rayons ».
« ll y a vraiment une ressemblance entre ce qui se fait ici et en France, le travail sur la langue, des formes qui se diversifient », note Charlotte Desmousseaux.
Avec des titres comme Le poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin, elle constate cependant que ce qui distingue l’écriture québécoise réside dans l’habile mélange de poésie et de fiction.
« Chez vous, il y a une capacité à faire des textes très courts, des romans traversés par une richesse de la langue, sans que ça paraisse être une barrière. Chez nous, on est sur quelque chose d’ultra narratif. Il faut des personnages en action. Le poids de la neige, c’est assez statique, de petites pages qui se cumulent pour arriver à une forme très belle, quoi. »
L’éditeur argentin Guido Indij, lui, n’avait eu que très peu de contacts avec le Québec. S’il tire un bilan positif de ses premiers jours ici, il assure que les contrats ne viendront « qu’après le voyage ». Il est venu en explorateur, avec en tête la littérature jeunesse, branche actuellement de sa maison La marca editora.
« Je découvre des livres qui reflètent sans doute ce qui se discute dans la société québécoise. J’en ai vu sur le thème de l’amour entre enfants, un autre sur la transsexualité et une histoire de cancer qui se termine bien. Celle-là m’intéresse ; je n’en ai jamais vu une comme ça en Argentine », dit-il.
Un bloc québécois en Allemagne
Parmi la trentaine de touristes littéraires figure un bon nombre d’Allemands — cinq éditeurs et trois traducteurs. L’objectif des Rendez-vous est clair : viser la vente de droits d’auteurs à l’étranger. Comme en 2020 le Canada sera l’invité d’honneur de la méga foire du livre de Francfort, il était naturel de chercher à séduire les germanophones.
« Ce sera très important que le Québec soit bien présent à Francfort. En Allemagne, on voit le Canada comme un très grand territoire, dans le Nord, il fait très froid et c’est anglophone. Dans le pavillon du Canada, il devra y avoir un espace spécial pour le Québec. »
Ce n’est pas un porte-parole du gouvernement québécois qui parle ainsi, mais bien Beate Thill, traductrice basée à Fribourg. La femme d’expérience, qui se dit spécialiste de la Francophonie et a accompagné l’écrivain martiniquais Édouard Glissant pendant 28 ans, insiste : elle et ses deux collègues du Rendez-vous traducteurs veulent changer la perception qu’a l’Allemagne du Canada.
« On se voit comme des promoteurs du Québec. On forme un bloc », dit-elle.
Beate Thill ne découvrait pas Montréal cette semaine — elle y était venue, il y a longtemps, en vraie touriste. Ses rapports avec le Québec littéraire datent même de 25 ans, elle qui a participé à la traduction d’une anthologie d’écrivains québécois. Pour l’occasion, elle s’était occupée des textes de Daniel Danis, textes simples et marqués, se souvient-elle, par le « poids de mots ». « Une assiette, un poisson, une pierre. Pour la traduction, ce n’est pas facile, trouver des mots qui ont ce poids ».
Depuis, Beate Thill est devenue la voix de Dany Laferrière dans la langue de Goethe. Un premier titre traduit en 2013 — L’énigme du retour est connu comme Das Rätsel der Rückkehr —, suivi par d’autres livres, dont le dernier-né, tout juste publié cet automne : Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, le premier opus de Laferrière.
« En Allemagne, il est très bien reçu. Vous savez, on accueille beaucoup de réfugiés et la question du racisme est très actuelle, avec beaucoup de débats. Ce livre vient au bon moment, mais, naturellement, il est apprécié pour ses qualités littéraires. »
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